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SIMON DESROCHERS
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23 août 2023

Survol d'honneur pour un héros méconnu de la France libre

Engagé volontaire et héros de la Grande Guerre, le général de division aérienne Charles-Antoine Luguet, natif d’Aix-les-Bains, est à l’origine de l’unité qui allait devenir « le régiment de chasse Normandie-Niemen » pour les faits d’armes de ses pilotes sur le front de l’Est à partir de 1943. Le 80e anniversaire de ses premiers engagements est l’occasion de faire mieux connaître celui qui en fut le créateur comme chef d’état-major des Forces aériennes françaises libres, grâce aux recherches d’un autre savoyard, Alain Laslaz, membre du comité d’Aix-les-Bains.Récit d’un parcours inspirant et rencontre avec un passionné d’aviation.


Il y a quatre-vingts ans, commençait le geste de l’unité de l’armée de l’Air de la France libre qui allait devenir le légendaire régiment de chasse « Normandie-Niemen ». Or, ses faits d’armes n’auraient peut-être pas existé sans un certain Charles-Antoine Luguet, colonel de l’armée de l’Air française, qui refusa la défaite de mai-juin 1940 avant de rallier la France libre pour devenir, dès 1941, le chef d’état-major de ses forces aériennes.

C’est en effet lui qui convaincra le général d’envoyer une escadrille de chasse combattre sur le front russe, aux côtés des Soviétiques, offrant au chef de la France libre une opportunité d’affirmer symboliquement l’indépendance de celle-ci par rapport à ses alliés anglo-saxons.

Quatre ans plus tard, quelques mois après la victoire, Charles-Antoine Luguet devait décéder au memorial hospital de New-York, à l’âge de 49 ans, des suites d’une longue maladie provoquée par ses blessures de guerre de juillet... 1918. Car Luguet, héros oublié de la France libre, fut d’abord un authentique héros de la Grande Guerre. 

 

Un élève brillant

Retour aux origines. Charles-Antoine Luguet naît à Aix-les-Bains, le 5 juin 1896, dans une famille savoyarde relativement modeste. Son père, Claudius, est négociant en vins, et comme sa mère, Marie-Magdeleine, née Dupasquier, tous deux sont issus de vieilles familles savoyardes. Charles est leur unique fils. Il passe son enfance et son adolescence à Aix-les-Bains où à la belle saison, il voit le gotha international se retrouver dans les palaces, aux thermes, sur le champ de courses et le parcours de golf, au casino et au théâtre de la ville d’eaux savoyarde...

Charles se révèlera un élève brillant, scolarisé dans l’enseignement catholique : en quatre ans de collège, il collectionne les premiers prix et prix d’excellence, puis les premières places en classes de seconde et de première, à l’issue de laquelle, en juin 1912, il réussit le baccalauréat de Rhétorique. Ce parcours lui ouvre les portes, en septembre 1912, du cycle préparatoire à l’école Polytechnique, au lycée Sainte-Geneviève de Versailles. En juin 1913, il réussit le baccalauréat Math-élem et entre en mathématiques supérieures.

 

Premier contact avec la guerre

Août 1914. Charles Luguet, qui termine ses vacances scolaires en Savoie, donne un coup de main comme brancardier à l’hôpital d’Aix-les-Bains, proche du domicile familial. En effet, après un premier mois de guerre désastreux, avec des milliers d’hommes mis hors de combat, des centaines de blessés de guerre affluent à Aix-les-Bains, qui leur offre son hôpital moderne, et ses bâtiments thermaux, hôtels et palaces. Ce premier contact avec la guerre a bouleversé le jeune Luguet, qui retourne à Versailles accomplir son premier trimestre de mathématiques spéciales... avant qu’une décision ministérielle du 5 janvier 1915 ne vienne interrompre l’objectif fixé : le concours de Polytechnique est supprimé. Charles-Antoine prend alors, comme beaucoup de jeunes patriotes de sa génération promis à un bel avenir, la seule décision qui lui paraît raisonnable : de retour à Aix-les- Bains, il signe ce même 5 janvier 1915 son engagement volontaire « jusqu’à la fin de la guerre ». Il a 18 ans.

Le 8 janvier, il est incorporé comme 2e classe au 2e régiment d’artillerie de campagne. Quatre mois plus tard, le soldat Luguet entre à l’école d’Artillerie de Fontainebleau. Il en sort breveté le 12 août, deuxième de sa promotion. Quelques jours plus tard, le voilà au front, canonnier-conducteur dans une batterie du 5e régiment d’artillerie de campagne.

 

Une mission particulièrement dangereuse

Du champ de bataille et de ses tranchées, il ne tarde pas à avoir un nouveau point de vue. En janvier 1916 en effet, le sous-officier Luguet se porte volontaire pour devenir observateur aérien. Breveté en mars, il est promu sous-lieutenant en avril, à pas encore 20 ans. Le jeune officier va alors enchaîner les missions essentielles (comme régler les tirs de l’artillerie, reine des batailles en cette première moitié de conflit) mais particulièrement dangereuses : l’avion transportant Luguet est ainsi abattu plus d’une dizaine de fois par les tirs de mitrailleuses, canons ou avions de chasse. Lors de combats aériens, il est lui-même touché par balles trois fois. Promu lieutenant en avril 1918, Charles-Antoine Luguet est nommé au rang de chevalier de la Légion d’honneur le 16 juin 1918. Il a 22 ans. Le 11 juillet 1918, alors qu’il totalise déjà plus de 300 heures de vol derrière les lignes ennemies, la chance tourne : son Caudron G4, très endommagé par l’ennemi pendant un vol de reconnaissance est détruit lors de l’atterrissage. Son pilote est tué et Charles-Antoine est très gravement atteint. Évacué vers l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, il subit une série d’interventions chirurgicales lourdes, au point qu’en novembre, il sera encore convalescent. Il ne le sait pas encore, mais les séquelles de ses blessures et leurs évolutions lui seront fatales vingt-sept ans plus tard...

 

Attaché d’ambassade à Moscou

Pour l’heure, rétabli, Charles-Antoine termine sa carrière d’observateur aérien en commandant de l’escadrille C10 qui occupe l’Allemagne de mars à novembre 1919. Début 1920, en effet, à sa demande, il rejoint l’école militaire de pilotage d’Istres. Breveté en février, il totalisera par la suite 2 170 heures de vol, dont un raid en patrouille jusqu’à Oslo.

En 1935, breveté de l’École supérieure de guerre, il rejoint l’état-major général de l’armée de l’Air. Un temps détaché à celui de la Marine, il rejoint le secrétariat général du conseil supérieur de la défense nationale. En 1937, il est retenu pour le poste d’attaché de l’Air à l’ambassade de France en URSS à Moscou, qu’il rejoint le 1er septembre 1938, après un apprentissage accéléré de la langue russe. Son épouse et leur fils âgé de dix-huit mois, Charles-Claude, l’accompagnent. 

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